Franck Piccard a ressorti ses médailles de Calgary pour les 30 ans de son sacre olympique.
En marge de la présentation de ses gammes ski 2018-19 aux Saisies (73), Rossignol a invité Franck Piccard (qui vit dans la station savoyarde) à fêter, en présence de quelques journalistes, les 30 ans de ses victoires olympiques à Calgary (médaille d’or de Super G et médaille de bronze en descente). Une célébration sans façons, bien dans le style du champion olympique, qui a évoqué avec modestie et clairvoyance quelques souvenirs et a accordé pour l’occasion une interview à Filièresport. Il y partage non seulement les émotions du passé mais aussi ses opinions sur les actuels enjeux de l’économie de la montagne, dont il est partie prenante en tant que commerçant des Saisies… Et affirme des positions fortes qui ne manqueront pas de faire débat !
Quels sentiments vous inspire ce trentenaire de vos médailles olympiques à Calgary ?
Mes médailles de Calgary sont à ranger dans la catégorie des souvenirs longtemps oubliés. Leur valeur a été longtemps occultée par Albertville, qui a été un moment très marquant pour moi, avec une une énorme pression, les fortes attentes du public et du sport français… Il a fallu que quelqu’un m’envoie, l’an dernier, une petite photo du téléski de Nakiska qui permettait d’accéder aux derniers mètres de la descente de Calgary, en me demandant si cela me rappelait quelque chose, pour que je me replonge dans les archives et que cela réveille mes souvenirs. La descente et le Super-G ont vraiment été de gros moments ! Ces exploits restent pourtant une rigolade par rapport aux performances des skieurs d’aujourd’hui. Mais il faut voir de ce l’on mettait aux pieds à l’époque…
Diriez-vous qu’un monde sépare le matériel de l’époque et celui d’aujourd’hui ?
Les tracés ont évolué comme le physique des skieurs et le matériel aussi, forcément. Nous avions des skis droits, pour arriver à les faire tourner fallait se lever de bonne heure ! Les skis se sont raccourcis, sont devenus paraboliques, ont été dotés de systèmes d’absorption des vibration, de répartition de charges, de respect du mouvement du ski… J’avais oublié tout ça. Les skis d’aujourd’hui sont ceux dont on rêvait à l’époque. En contrepartie, le ski est devenu un sport très très exigeant. Il faut être à 100 % pour sortir un résultat. Ce qui fait la différence, c’est mental.
Constatez-vous la même évolution en ski nordique, que vous pratiquez aujourd’hui, comme membre de l’équipe professionnelle Gel Rossignol ?
Je vois d’année en année l’évolution de ce matériel vers une meilleure accroche, de la légèreté, une restitution du mouvement. Mais je n’en ai pas une perception aussi précise car je ne le pratique pas au même niveau. Quoiqu’il en soit, l’arrivée du skating, la discipline que je pratique, a augmenté l’intérêt pour cette discipline.
Comment avez-vous géré votre après carrière ?
Je suis d’abord passé par une phase d’exorcisme au micro d’Eurosport aux côtés du journaliste Alexandre Pasteur. J’ai fait dix ans, jusque 2006, jusqu’à l’avènement d’Antoine Dénériaz, un de mes meilleurs souvenirs au micro. Dix ans à raconter et faire vivre le ski, tout était à faire, ce sport était très mal connu. Expliquer pourquoi un skieur va plus vite parce qu’il passe à tel endroit plutôt qu’un autre, c’était important. Ça m’a vraiment permis de tourner la page tranquillement, puis je me suis occupé de l’office du tourisme, de mise au point de matériel de compétition, avant de reprendre le magasin de mes parents en 2000 et ainsi, de devenir chef d’entreprise.
« Les clients des stations sont-ils réellement demandeurs de 175 kilomètres de pistes alpines au lieu de 80 ? »
La montagne française sort de trois années avec des déficits de neige en début de saison. La météo explique-t-elle tous les problèmes ?
La météo de chaque saison explique en grande partie les choses. J’ai connu mes parents faire ce métier avec presque toujours de la neige dès le mois de novembre, rarement des difficultés en début de saison. Depuis quatre ans, ce n’est plus le cas. La question climatique est la pierre angulaire de notre métier. L’actuelle course l’escalade au canon neige et à l’artificiel me paraissent pas démesurées. On se doit de réfléchir différemment.
Pourtant, les massifs français sont moins équipés en neige de culture que ceux d’Autriche et d’Italie ?
Mais ils le font différemment. Ils n’ont pas fait les mêmes choix stratégiques de développement des stations que nous. En Autriche, il y a très peu de stations d’altitude, la plupart sont des villages de bas de vallée complétés par des gros porteurs pour acheminer les skieurs vers les alpages. La Suisse est exactement dans le même cas, l’Italie en partie aussi. Aujourd’hui, notre expérience n’a pas le même répercussion par rapport à la montagne. Nos concurrents n’ont pas eu la même approche de développement touristique de la montagne et sont aujourd’hui en capacité de mieux la protéger.
Est-ce que l’on peut changer ça ?
Je n’ai pas le mode d’emploi mais je sais qu’il faut arrêter de gaspiller la ressource montagne. J’adore vendre des skis mais je suis conscient que la montagne ne se résume pas au ski. La montagne, c’est d’abord l’altitude, le repos, le bon air. La nature est son vrai trésor. Est-ce que les clients de la montagne française sont réellement demandeurs de 175 kilomètres de pistes alpines au lieu de 80 ? Si on leur proposait à la place plus d’espaces préservés, ils ne seraient pas contre. Toutes les enquêtes montrent que les premières raisons de fréquentation de la montagne sont les paysages et l’environnement…
Le retour de la neige cet hiver s’est-il traduit par de meilleures ventes dans votre magasin ?
Noël a été convenable, grâce à la clientèle familiale, la deuxième semaine des vacances a été plus complexe avec une multiplication d’arrivées et de départs différés et de courts séjours. Janvier est en réelle progression car l’an dernier nous n’avions pas du tout de neige. Les chiffres de ce début de saison ne sont pas extraordinaires mais l’abondance de neige peut donner confiance aux consommateurs et les inciter à revenir, non seulement cette année, mais aussi l’an prochain. D’autant que cette année, il y a eu de la neige sur tous les massifs à toutes les altitudes, ce qui a permis d’irriguer de nouveau la clientèle sur l’ensemble de la montagne. D’un autre côté, ce bon début de saison ne doit pas nous faire oublier le reste. Ce n’est parce qu’une saison se passe « normalement » que nous sommes tirés d’affaire. La montagne sera de nouveau sur la sellette l’année prochaine…
Propos recueillis par Olivier Costil